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GUILLAUME ERARD

 5e Dan Aïkido du Hombu Dojo de l'Aïkikai,  

5e Dan Kyoshi de Daïto-ryu Aïki-jujutsu du Shikoku Hombu Dojo. 

Auteur, instructeur et vidéaste dans le domaine des arts martiaux

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Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Guillaume Erard, j’ai 39 ans, je suis biologiste.

J'ai effectué un doctorat en biologie moléculaire et après quelques années passées dans la recherche, j’ai décidé de me consacrer à l’enseignement. Je vis au Japon depuis 2009 et je suis résident permanent. Je suis marié et j’ai un petit garçon de six ans.

Racontez-nous vos débuts dans le monde des arts martiaux. Comment êtes-vous arrivé à la pratique des arts martiaux ? Par quel art ? Maître ? Dojo ?

Lorsque j'étais enfant, on ne me laissait pas trop le choix et vers l'âge de six ans, ma mère m’a dit que dorénavant, j’allais faire du Judo.

Je faisais déjà pas mal de natation, puis du water polo, et donc le Judo est venu s'ajouter à cela. Je ne me souviens plus du nom de mon premier professeur mais il m’a fait faire beaucoup de compétition.

Qu'est ce qui vous a plu ? Ce qui vous a fait aimer les arts martiaux ? Ce qui vous a poussé et continue à vous pousser à continuer ?

C'était la fin des années 80, l'époque des films d’action et des dessins animés japonais le mercredi après-midi, et tout cet univers japonisant me plaisait beaucoup. On ne connaissait rien du Japon mais on en rêvait beaucoup.

Du coup, le Judo m’a offert une connexion un peu tangible avec tout cela. En Aïkido, le déclic a été quand j’ai vu une démonstration de Christian Tissier à Bercy. J’ai immédiatement su que je voulais faire ça.

Ma passion pour le Japon a grandi petit à petit, je regardais tous les documentaires, je lisais tous les livres, au point qu’un jour je me suis convaincu que ma place était là-bas ! [rires] Une grande partie de mon énergie était consacrée à trouver un moyen de m’installer au Japon.

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Guillaume avec Christian Tissier Sensei dans le légendaire Kyoto Butokuden

Pour vous, qu'apportent les arts martiaux du point de vue physique, mental et spirituel ?

C’est une question difficile à aborder de façon concise.

Si vous le faites bien, le Budo est quelque chose qui fait partie de votre identité, et donc il est difficile d’en isoler les composantes dans ce tout que constitue votre être.

 

Physiquement, mentalement, ou spirituellement, c’est à chacun de placer le curseur. Je pourrais essayer de rentrer plus dans les détails mais l'expérience est tellement personnelle qu’elle serait forcément mal interprétée.

 

Malgré son côté hyper codifié, le Budo n’est pas un système, c’est un cadre. On en retire à mesure de ce qu’on y met. Au Japon, on dit que le Budo et un Ningen Keisei No Michi, une voie de perfectionnement de son humanité.

Cependant, le changement ne se fait pas via des facteurs externes, mais internes. Le Budo permet donc juste de réfléchir à des questions d’une façon physique, tangible.

 

Si on vient au Budo et qu’on ne cherche pas activement à devenir quelqu’un de bien, on n'a aucune chance de le devenir. Certains empirent même, j’ai plein de noms qui me viennent en tête, pas vous ? [rires]

 

Plus sérieusement, je vois beaucoup de gens « se servir » du Budo, comme dans le sens de Buki (武器), « l’arme », où ki veut dire « outil ». On « s’en sert » pour sa progression personnelle, ou bien pour monter dans la hiérarchie afin de « se servir » des autres.

Pourtant, être dans un Budo, c’est le contraire, il faut « le servir ». Samourai vient de Samorau (侍う) « servir », servir son art, servir son maître, servir ses pairs, ses aînés mais aussi ses cadets car au au Japon, avoir un ou des kohai est une responsabilité difficile.

Il faut être prêt à accepter la servitude pour devenir un Être Humain. C’est une demande énorme, surtout pour nous occidentaux, mais si on refuse cela, alors le Budo devient juste un bête « outil » et plus une « voie ».

Avec vos nombreuses années de pratique, de recherche, avez-vous des références de maîtres ? Des exemples qui vous ont motivé et qui vous motivent toujours ?

Bien sûr, c’est la corollaire de ce dont je viens de parler.

Trente-trois ans de pratique, c’est peu, on a toujours quelqu’un au-dessus de soi à servir, et qui en même temps nous sert via le fait d'être responsable de nous dans le contexte de la relation Sensei/Deshi ou Sempai/Kohai. Ce sont des relations véritablement précieuses, essentielles en fait, car elles font toute la différence entre les gens qui apprennent profondément et ceux qui butinent a droit à gauche sans s’engager personnellement dans une voie ou une lignée.

J’ai eu la chance d’avoir de nombreux Sensei et Sempai, donc la liste risque d'être longue et ennuyeuse ! [rires]

 

Si vous voulez absolument des noms, j’ai développé ce type de relation avec certains des professeurs de l’Aikikai comme Osawa Hayato ou Miyamoto Tsuruzo, et bien sûr mon professeur de Daito-ryu Sato Hideaki.

Certains de ces professeurs sont décédés comme Chiba Tsugutaka, Alan Ruddock ou Henry Kono. D’autres sont encore là, mais sont un peu moins proches qu'à une certaine époque, mais ils ont tous contribué à ce que je suis, Philippe Gouttard en particulier.

 

Enfin, il y a aussi Christian Tissier. Son influence est allée bien au-delà de la technique et j’ai la chance d’avoir pu bénéficier de son soutien et de sa bienveillance depuis des années.

Voilà un exemple d’un homme qui donne de sa personne lorsqu’il considère que vous êtes sur le même chemin que lui.

Depuis Octobre 2009, vous habitez au Japon et vous pratiquez au "Dojo mère" de l'Aikido, le Hombu Dojo, l’Aikikai. Comment se sont passés vos premiers entraînements au Hombu Dojo ? Avez-vous bien été accueilli ?

Tout s’est bien passé. Je n’ai pas spécialement été « accueilli ».

Je suis arrivé sans aucune introduction donc je me suis inscrit, changé, et je suis monté sur le tatami en faisant de mon mieux pour copier ce que faisaient les gens qui visiblement étaient là depuis longtemps. J'opère toujours de cette manière aujourd’hui.

 

J’ai un peu souffert de la dureté du Tatami, des douches froides l’hiver, et de la chaleur suffocante l'été, mais j’ai une constitution solide et j’avais fait énormément de sport, donc physiquement ça tenait malgré la pratique quotidienne parfois un peu musclée avec les Deshi. Ça a été très formateur pour moi.

 

Je suis entré par la petite porte, j’ai pris ma place dans le rang, avec mes pairs, nous sommes tous montés ensemble. Ça et le fait de découvrir un pays, une culture, une façon de se comporter, c’est très fort comme expérience. On m’a récemment invité à participer à un panel d'anciens du Hombu avec Meik Skoss, Didier Boyet, Lisa Tomoleoni et d’autres et il semble qu’on a tous vécu la chose un peu de cette manière.

La vie "japonaise" est-elle si différente de celle européenne ? L'image du "Gaijin" est toujours bien présente ou bien l'occidental est beaucoup plus accepté que l'on pense ?

Très différente, et ceux qui disent le contraire sont en général ceux qui n’y ont pas vécu longtemps ou fondé une famille. Ce qui est difficile, ce n’est pas de manger du riz tous les jours avec des baguettes ou de dormir par terre, mais c’est de comprendre suffisamment profondément la culture et la mentalité japonaise pour fonctionner dans ce système de façon fluide, presque innée. On traduit ishin denshin par « communication de cœur à cœur » mais dans les faits, ce n’est pas un genre de télépathie. Au Japon, si on veut être à l’aise et que les gens soient à l'aise avec nous, il faut maîtriser le langage, les coutumes, les valeurs et tout ce qui est implicite. C’est ça la définition de l'harmonie (wa, 和) à la japonaise, c'est-à-dire un ensemble de règles sociales tacites selon lesquelles tout le monde fonctionne sans friction.

 

La question n’est pas de savoir si les japonais nous acceptent. Il faut que nous on soit prêt à faire ce qu’il faut pour être accepté. Si on se tient correctement, on est souvent accueilli à bras ouverts au Japon. Une fois que c’est fait, la balle est dans notre camp, c'est-à- dire qu’il faut bien honorer toutes les obligations que cela crée. La société japonaise est beaucoup moins individualiste que la société française, et il faut beaucoup donner de sa personne pour servir le groupe. Cela ne convient pas à tout le monde.

 

Enfin, au même titre qu’au dojo, il faut bien comprendre qu’au Japon, chacun a sa place. D'évidence, je suis étranger, et je me comporte donc au sein des limites de ce rôle. Cela a ses avantages et ses inconvénients, mais la pire chose que vous puissiez faire est d’essayer de vivre en décalage avec ce que vous êtes. Le but du budo est précisément de comprendre sa nature et de devenir un Être Humain.

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Guillaume au jardin Shinjuku Gyoen

Avec le modernisme et l'Occident de plus en plus présents en Asie, notamment au Japon, est ce que les traditions japonaises sont toujours bien présentes de nos jours ?

Cela fait très peu de différence. Les japonais ont toujours intégré et digéré les influences extérieures pour faire leur propre sauce.

Au contraire, je pense que la société japonaise a tendance à se recentrer sur elle-même, et c’est peut-être aussi le cas dans le reste de l’Asie d’ailleurs. Au Japon, je suspecte que cela date de l'échec des mouvements étudiants de 1968 qui, contrairement à la France, ont abouti à une rigidification du système social et éducatif, et cela a l’air de s'accélérer, ou du moins c’est plus évident avec le contraste qu’offre la globalisation. C'est bien entendu plus facile d'être touriste aujourd’hui car il y a plus de double affichage dans les grandes villes, etc. mais au niveau de la vie locale de tous les jours et de la mentalité, à mon avis, peu a changé.

 

Pour vous donner un exemple, la différence reste fondamentale entre un jeune de parents japonais qui va dans une école internationale par rapport à un autre qui va en école japonaise, au point que la communication entre les deux peut être assez difficile même si tous deux parlent la même langue et ont toujours vécu au Japon. Je compare souvent cela au concept de la Vallée de l'Étrange en intelligence artificielle. Ils se ressemblent pratiquement parfaitement, mais il y a un truc qui cloche. Tout ceci n’est que mon impression personnelle, mais c’est ce que je ressens en tant qu’enseignant ayant affaire avec le milieu éducatif international mais aussi japonais.

Pour vous ? Comment évoluent les arts martiaux au Japon ?

Il faudrait répondre au cas par cas, il est difficile de généraliser, surtout, je manque de recul puisque je ne suis là que depuis dix ans.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quelle est la place des saluts, du cérémonial Reishiki dans les arts martiaux japonais ?

Tout cela est totalement désuet mais c’est d'une importance capitale. Reishiki est composé de deux caractères (礼式) qui signifient respectivement « cérémonie » et « gratitude », il exprime dans les termes les plus concrets notre sens du devoir l'un envers l'autre que j'expliquais plus tôt.

 

C’est précisément ce qui nous signifie que nous sommes sur une voie, au sein d’une ligne. Nous sommes tous des branches d’un arbre et il est essentiel de ne jamais perdre la connexion au tronc, sous peine de nécrose. Après, copier tout ce cérémonial sans le comprendre a peu d'intérêt, ca peut même être dangereux.

 

J’ai ce problème lorsque que j’enseigne le Daito-ryu en Europe. Le contexte ne me permet pas d'être aussi formel qu’au Japon, car les gens ne comprendraient ou n’accepteraient pas, surtout que c’est plus à eux de se comporter à la Japonaise qu’à moi, et ils n’ont pas les codes ni forcément l’envie. Du coup, il y a des choses que je n’arrive pas à transmettre, pas techniquement, mais culturellement. C’est vraiment une chose à laquelle je réfléchis beaucoup en ce moment. Je pense que le budo est trop dissocié de sa culture.

Vous côtoyez un grand nombre "d’icônes" de l'Aikido et parmi eux, le petit-fils du fondateur, Doshu Moriteru Ueshiba qui vous a remis votre 5° Dan en personne.

Pouvez-vous nous parler de lui, comment est-il ? Quel type de Sensei est-il ? Reste-t-il sur le chemin de son grand-père et de son père ou modifie-il l'enseignement ?

Le Doshu est un homme remarquable.

Il sait qu’il est le maillon d’une chaîne et tout ce qu’il fait est dans cette optique. Je suis toujours admiratif de sa dévotion totale à l'Aïkido. Je suis aussi toujours impressionné par sa gentillesse et son accessibilité. Dès que je me prends à manquer de modestie et de bienveillance dans mon rapport aux autres, je revois le Doshu sourire aux gens, prendre le temps d'une énième photo, et je vois l’exemple d’un homme qui sert l'Aïkido plutôt que de s’en servir.

 

L'Aïkido est aujourd’hui de facto un système iemoto, dans le sens affectif, mais pas tellement technique. Pour les Aïkidoka, je pense que la connexion avec la famille Ueshiba est très importante, c’est une affaire de cœur. En tout cas, ça l'est pour moi.

Je suis quelqu’un d'ordonné et de loyal, c’est dans mon caractère, donc je ne suis pas partisan de tout envoyer balader pour « sauver » l'Aïkido tout seul. Je fais de mon mieux dans le contexte qui est le mien, une interaction humaine après l’autre. En outre, techniquement, il faut être honnête, on a une liberté presque totale dans ce qu'on fait. Sincèrement, après tout le tintouin que j’ai fait autour du Daito-ryu, si l’Aikikai avait une conception hégémonique de l’Aïkido, le Doshu ne m’aurait pas remis le cinquième dan ! [rires]

Décerné le 5ème Dan par Moriteru Ueshiba

Guillaume avec son 5ème Dan aux cotés du Doshu Moriteru Ueshiba

En général, l'Aikido pratiqué de nos jours s'est-il éloigné de celui du fondateur ?

Sans aucun doute, mais c'est tout à fait normal.

Les Budo n’ont jamais été gravés dans le marbre, ni les Bujutsu, ni les Gendai Budo. Ils ont toujours évolué avec leur temps, au gré des besoins, et au travers des miroirs déformants des générations successives de pratiquants. C’est d’ailleurs sans doute pour cela qu’on peut encore les pratiquer de nos jours. Le point essentiel n’est pas la forme de la technique, c’est son sens historique, culturel, et même linguistique.

 

Il y a des gens comme moi qui essaient de retourner vers les techniques anciennes, mais c’est surtout par intérêt académique. C’est important qu’il y ait un certain nombre de personnes qui gardent ces connaissances et les transmettent. Je pense cependant qu’il est beaucoup plus important de faire en sorte que notre belle discipline continue à vivre et rester pertinente, et qu’elle participe à rendre les gens heureux via une influence positive dans leur vie, comme ce fut le cas dans la mienne. Ceci n’est pas le fruit du travail d’une élite, cela se manifeste en chacun de nous, quel que soit l'âge, le sexe, ou le niveau. Par contre, il faut bien comprendre d'où on vient pour bien décider où on va sous peine de faire ou dire n'importe quoi.

C’est pour cela qu’on a besoin de tout le monde.

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En plus de l'Aikido, vous pratiquez également le Daito-Ryu Aiki-Jujutsu au Shikoku Hombu Dojo. Pourquoi pratiquer cet art, en plus de l'Aikido ?

Je pratique le Daito-Ryu car comme je le disais, j’ai un intérêt historique pour l’origine des techniques de Ueshiba Morihei. J’essaie de comprendre ses choix techniques et pour ce faire, il est essentiel de savoir d'où il est parti. Or contrairement au mythe qui dit que le fondateur aurait fait la synthèse des pratiques de plusieurs écoles, la quasi-totalité des techniques de l'Aïkido sont directement issue du Daito-Ryu Aiki-Jujutsu.

On a de la chance en fait, car il n’y a pas besoin de chercher tous azimuts ! [rires]

 

Cependant, c’est un exemple intéressant de ce dont je parlais plus tôt en termes d’acceptation et de responsabilité. Je me suis initialement intéressé à cette école dans le but de « picorer » des techniques pour les mettre dans mon Aikido.Dix ans plus tard, le Daito-Ryu est devenu une partie importante de mon identité et j'ai aujourd'hui la responsabilité de transmettre les enseignements et l'histoire de cette école et ma préoccupation principale est d'être sûr de bien tout assimiler avant que mon professeur ne soit plus là.

Vous avez suivi  l'enseignement de Chiba Tsugutaka Sensei, pouvez-vous nous faire une présentation de ce Sensei ?

Chiba Sensei est décédé en 2017.

Il était l’un des enseignants les plus avancés de Daito-Ryu, celui chez qui les grands professeurs allaient se perfectionner. Il était le représentant officiel de la famille Takeda à Shikoku. C'était aussi un homme de lettres et je lui dois énormément de ma compréhension du Budo. Il a fondé le quartier général du Daito-Dyu de Shikoku et nous nous efforçons aujourd’hui de poursuivre son travail, sous la direction de son successeur, Sato Hideaki.

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Guillaume Sensei avec le maître Chiba Tsugutaka

Certains pratiquants disent ou pensent, notamment en France, que les arts martiaux traditionnels sont voués à disparaître car ils sont dépassés. Qu'en pensez vous ? Que pouvez-vous leur répondre ?

Dépassés par rapport à quoi, à quel postulat ?

S’il s’agit d'être des systèmes de combat sur le champ de bataille ou de self-défense, le MMA est bien évidemment une bien meilleure option, plus directe, plus à jour, plus rationnelle. C’est pourquoi des corps armés comme la légion étrangère semblent entraîner leur hommes au MMA, pas au Budo.

Ceci dit, en réalité, les Budo n’ont pas pour priorité une applicabilité sur le champ de bataille ou dans la rue, et les preuves de cela sont indiscutables. La majorité des Bugei Ryu-Ha sont depuis des siècles des systèmes d'éducation ou des petits clubs fermés pour membres de la noblesse, en particulier les écoles mettant une emphase sur le sabre, puisque cet outil est probablement l’une des armes qui fut historiquement les moins utilisées sur un champ de bataille.

 

Une fois qu’on a dit ça, si on ne cherche pas dans les Budo des choses qu’ils ne sont pas censés apporter, il n’y a pas de déception. De l'extérieur, comme je l’ai dit précédemment, l'accoutrement, l'étiquette, les armes, les techniques, tout paraît désuet. C’est dur à comprendre mais justement, les Budo s’appréhendent sur la durée et c’est justement dans la lente résolution de leurs contradictions intrinsèques que se situe tout l'intérêt. Il est évident que cela ne peut pas plaire à tout le monde. Ce n’est pas un problème à mon sens.

 

Techniquement, le niveau sur les cursus de base et intermédiaire a beaucoup augmenté en France et à l’étranger et parfois, il peut y être meilleur que ce que l’on peut voir dans les démonstrations publiques de type Nippon Budokan ou Meiji-Jingu. Cependant, à haut niveau de maîtrise sur des points d’arcane, je pense tout de même que pour nombre d'écoles, l’essentiel de la connaissance reste au Japon, mais par définition, ces points là, peu y ont accès ou savent qu’ils existent. Pour vous donner un exemple, mon professeur, Chiba Tsugutaka a attendu trois ans avant de me montrer quoi que ce soit et le jour où il l’a fait, cela n’avait rien à voir avec ce qu’il montrait en stage. Aujourd’hui encore, après plus de dix ans, il y a des choses auxquelles on ne me donne pas accès dans mon école. Dans ces conditions, il est évident que si on n’est pas au Japon, on peut tout à fait ne pas réaliser l’ampleur de ce que l’on ignore. Du coup, si on ne juge que sur les démonstrations publiques, la situation peut paraître préoccupante mais ne vous inquiétez pas, la transmission s'opère, rappelez-vous qu'il suffit juste de deux ou trois personnes par génération pour que ça tienne. Le Budo peut être pratiqué par tout le monde mais tout le monde ne peut accéder à la totalité du Budo. En outre, je préfère largement avoir moins de monde sur le tatami plutôt que des gens qui y sont pour de mauvaises raisons.

Le Budo survivra, il n’y a aucun doute la dessus. Si des écoles comme le Jigen-Ryu ont perduré pendant cinq siècles, ce ne sont pas quelques quolibets sur YouTube qui changeront quoi que ce soit ! [rires]

 

Il est peu surprenant que les effectifs se contractent après l’explosion des Budo dans les années 70/80/90, mais expansion et qualité vont rarement de paire, donc ce n’est pas un problème à mon avis, au contraire, surtout si on les a vendus sur un argumentaire fallacieux. Si c’est le cas, les gens du MMA ont très bien fait de le démolir et je les en remercie. Nous vivons un réveil un peu brutal mais in fine, je pense que les budo n’en sortiront que renforcés, sans tout le bruit, la fureur et les mythes qu’il y avait autour jusque-là.

En plus de votre pratique au Dojo, avez-vous une routine chez vous ?

Oui, je vais courir tous les deux jours et le reste du temps, j’utilise une appli de renforcement sur mon téléphone pour tenir mon rythme à la maison. J’ai aussi toute une routine de tanren aux armes et à mains nues issue de mon école de Daito-Ryu et elle prend énormément de temps. A part ça, je me lève tôt, je me couche tôt, je ne fume pas et je ne bois plus d’alcool. J’aurai 40 ans cette année et pour l'instant, tout va bien mais je suis conscient du fait que ce que la génétique m’avait donné, il va me falloir travailler un peu plus dur pour le garder.

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En plus de votre pratique, de votre enseignement, vous êtes l'un des plus grands chercheurs dans l'univers de l'Aikido. Comment vous est venu l'idée de faire toutes ces recherches ?

Oui enfin, c’est un tout petit univers et pratiquement tout le monde se fiche de ces sujets, donc je n’ai pas beaucoup de mérite ! [rires]

L'idée de faire ces recherches m’est venue lorsque j’ai compris, une fois au Japon, que le Budo allait bien au-delà de la technique et que justement, je n’y connaissais pratiquement rien.

 

La motivation principale derrière mes écrits et vidéos est que le contenu des livres et des magazines sur les arts martiaux publiés actuellement est encore souvent en décalage avec la réalité que j’ai décrite plus tôt. Je me suis longtemps demandé pourquoi, jusqu'à ce qu’on me propose de participer à l'un d’entre eux et que je me rende compte que pas mal des gens qui y écrivent n’ont jamais mis un pied au Japon ou tout au mieux, ils y ont juste fait un peu de tourisme martial. Ils sont probablement très bons techniquement mais ils n’ont pas l'expérience de vie sur la durée dans le contexte culturel. Je comprends tout à fait que l’on ne voit pas l'intérêt de ce contexte puisqu’encore une fois, on ne peut pas cerner l’importance des choses dont on ignore l'existence, mais du coup, on a une vision incomplète du Budo. Je ne me retrouvais pas dans cet état d'esprit donc j’ai arrêté. Ironiquement, les seules publications papier qui me sollicitent de nos jours sont des publications japonaises et du coup, pas grand monde ne me lit ! Heureusement qu’il y a Internet ! [rires]

 

Je parle de temps en temps de ça avec des gens qui vivent au Japon depuis longtemps et ils ressentent la même chose que moi. C’est pour cela que je pense qu’il est important que nous ayons une approche plus ouverte et pédagogique que de simplement se concentrer sur notre propre pratique et notre communauté immédiate au Japon.

 

Quelque chose en lien avec ceci est que j’ai tout récemment été invité à rejoindre une organisation qui s'appelle le Koryu collective et qui rassemble certains spécialistes des Budo vivant ou ayant vécu au Japon comme Alexander Bennett, Liam Keeley, et d’autres anciens du groupe de Donn Draeger.

Nous sommes en train de réfléchir à comment sauvegarder et surtout publier sur nos patrimoines respectifs pour essayer de contrer le nombre important d’informations de mauvaise qualité disponible aujourd’hui.

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Quels sont vos projets ?

Je suis pas mal occupé en ce moment avec mon dojo à Yokohama. Vu qu’il faut tout faire en japonais et en anglais, tout prend le double de temps ! [rires]

J’ai une petite notoriété sur Internet dans le microcosme des arts martiaux, mais dans la vraie vie locale, tout le monde s’en fiche ! [rires]

Il me faut donc faire un effort pour établir un lien social avec ma communauté locale et me mettre à son service. Il faut aussi comprendre qu’au Japon, un Dojo ou un club de foot, c’est vraiment une deuxième famille, et donc c’est très chronophage pour tous ses membres. C’est un challenge intéressant et c’est en droite ligne avec ce que sont les budo.

 

Au niveau éditorial, j’ai quelques articles à écrire pour le magazine japonais Hiden, et quelques projets de livres. Sinon, un ou deux coups de main à l'Aikikai et à la Fédération Internationale, et mon planning sera déjà bien rempli ! [rires]

Il y a aussi un projet d’exposition à Kyoto mais le Covid a pas mal perturbé le démarrage, il faut que je me repenche sur la question.

 

Une fois vacciné, je reprendrai les aller-retours pour m’occuper des mes élèves de Daito-ryu en Europe. Ils sont ma première génération de ceintures noires et ils ont une motivation et un talent certains, donc je veux les aider à progresser. Je parlais de responsabilités, c’est une tâche qui m’a été donnée par Chiba Sensei donc je dois faire ce qu’il faut. Je continuerai aussi les stages d'Aïkido, en essayent comme toujours de proposer de la technique mais aussi du contexte.

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Un mot pour la fin ? Quelque chose à rajouter ?

Rien de spécial à part de vous efforcer de vous faire plaisir sur le tatami et de faire plaisir aux autres. Choisissez bien vos professeurs, restez droits et dignes de leur confiance, et servez votre communauté. Vous deviendrez une partie de cette chaîne et au travers de vous, une partie du budo va s’exprimer, se transformer, et idéalement, perdurer.

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RONIN MARTIAL PRODUCTION - Interview réalisé par Julien BOUCHER Avril 2021

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